samedi 19 mars 2011

Crise systémique globale : Deuxième semestre 2011 – Préparez-vous à l'implosion du marché des Bons du Trésor US

Au-delà de ses tragiques conséquences humaines (1), la terrible catastrophe qui vient de frapper le Japon va se révéler le choc fatal pour le marché chancelant des bons du Trésor américain. Dans le GEAB N°52, notre équipe avait déjà expliqué comment l'enchaînement des révolutions arabes, cette chute du « mur des pétro-dollars » (2), allait se traduire courant 2011 par l'arrêt des achats massifs de Bons du Trésor US par les pays du Golfe. Dans ce GEAB N°53, nous anticipons que le choc brutal que subit l'économie japonaise va entraîner non seulement l'arrêt des achats de T-Bonds US par le Japon, mais qu'il va obliger les autorités de Tokyo à vendre durablement une part importante de leurs réserves en bons du Trésor US afin de financer le coût énorme de stabilisation, de reconstruction et de relance de l'économie nippone (3). 

Le Japon et les pays du Golfe représentant à eux seuls 25% du total des 4.400 milliards USD de la dette fédérale US (Décembre 2010), LEAP/E2020 considère que cette situation nouvelle qui s'affirme au cours de ce premier trimestre 2011, sur fond de réticence croissante de la Chine (20% des Bons du Trésor US) à continuer à investir dans les titres fédéraux US (4), porte en germe l'implosion du marché des Bons du Trésor US pour le second semestre 2011 ; un marché qui n'a désormais plus qu'un seul acheteur : la Réserve fédérale US (5). 

Il est certain que le contexte de la crise des titres des collectivités locales US (Munis) et des dettes publiques européennes (de l'ensemble de la périphérie de l'UE y compris les Royaume-Uni) que notre équipe a anticipée pour cette période (voir GEAB N°50 ) ne fera qu'amplifier le phénomène. Il est d'ailleurs tout-à-fait significatif que PIMCO, le plus important gestionnaire de fonds obligataire au monde ait décidé fin Février 2011 de se débarrasser de ses bons du Trésor US. Et c'était avant la catastrophe au Japon (6) !

Principaux détenteurs de la dette fédérale US (10/2010) - Sources : US Treasury / Dave's Manuel
Principaux détenteurs de la dette fédérale US (10/2010) - Sources : US Treasury / Dave's Manuel
Mais au-delà des chocs japonais et arabes (voir GEAB N°52 ), le processus d'implosion du marché de la dette fédérale US au second semestre 2011 s'accélère sous l'effet de quatre autres phénomènes : 

. la mise en place de l'austérité budgétaire aux Etats-Unis (comme anticipé dans le GEAB N°47) qui condamne les collectivités locales US à une crise majeure du marché de leur dette (« Munis ») 
. l'impossibilité pour la Fed de mettre en place un QE3 
. l'inéluctable hausse des taux d'intérêt sur fond d'inflation mondiale 
. la fin du statut-refuge de la devise américaine. 

Bien entendu, l'ensemble de ces phénomènes sont liés et, caractéristique d'une crise majeure, on entre dans une période qui va voir leurs impacts se renforcer mutuellement, conduisant à ce choc brutal du second trimestre 2011. On pourrait d'ailleurs ajouter un cinquième phénomène : la paralysie décisionnelle complète du pouvoir US. L'affrontement quotidien, sur pratiquement tous les sujets, entre Républicains (radicalisés par les « Tea-Parties ») et Démocrates (démoralisés par une administration Obama qui a trahi l'essentiel de ses engagements électoraux (7)), tend chaque jour un peu plus à démontrer que Washington est désormais une sorte de « nef des fous », ballotée par les évènements, sans stratégie, sans volonté, sans capacité d'action (8). Autrement dit, selon LEAP/E2020, quand l'implosion du marché des Bons du Trésor US va commencer, il ne faudra s'attendre à rien d'autre à Washington qu'à une prodigieuse cacophonie qui ne fera qu'aggraver la crise. 

Dans ce communiqué public du GEAB N°53, nous avons choisi de présenter plus en détail notre anticipation du choc japonais à l'échelle globale notamment en matière d'inflation et de géopolitique. Les autres phénomènes qui conduisent à l'implosion du marché des Bons du Trésor US au second semestre 2011 sont analysés dans ce GEAB où nous formulons également des recommandations pour faire face à l'évidente aggravation du processus de dislocation géopolitique mondiale. 

La triple catastrophe qui vient de frapper le Japon (tremblement de terre, tsunami et accident nucléaire) constitue un événement crucial qui va accélérer et intensifier la crise systémique globale, et en particulier le processus de dislocation géopolitique mondiale. L'ampleur des destructions, le choc direct sur les infrastructures énergétiques de la troisième (ou quatrième économie de la planète (9)), la gravité des accidents dans les centrales nucléaires (10), constitue l'un de ces chocs majeurs auquel le système international actuel n'est plus capable de résister comme nous l'anticipions dans le GEAB N°51 (« 2011 : l'année impitoyable »). 

Le Japon, déjà très affaibli par une crise économique chronique qui dure depuis vingt ans et dont l'endettement public est l'un des plus importants au monde, se retrouve désormais face à la double nécessité de financer une reconstruction à grande échelle et d'assurer la transition pour une période indéterminée caractérisée par une limitation de l'énergie disponible et des disruptions de ces circuits d'approvisionnement commerciaux et industriels. Or le Japon est une composante fondamentale du système de gouvernance mondiale de ces dernières décennies. Tokyo est l'une des principales places financières de la planète, l'un des trois pôles de gestion des marchés des devises (avec Londres et New-York) et l'économie japonaise fournit quantité de composants électroniques vitaux pour l'économie mondiale. Enfin, comme nous l'avons analysé dans GEAB par le passé, c'est avec le Royaume-Uni, l'un des deux « flotteurs » (11) qui permet aux Etats-Unis de gérer les affaires planétaires en matière économique, monétaire et financière depuis plus de cinquante ans. 

Ce « flotteur » est déjà depuis quelques années attiré de manière croissante dans l'orbite chinoise, au rythme de la montée en puissance de la Chine et de l'affaiblissement des Etats-Unis. La crise déclenchée par le tremblement de terre va, selon LEAP/E2020, accélérer fortement cette évolution notamment parce qu'aujourd'hui, seule la Chine est en mesure d'apporter une aide financière massive au Japon (12), tout en aidant directement son économie en ouvrant encore plus aux entreprises japonaises l'immense marché chinois (13).

Part déclinante du Dollar US dans les transactions internationales (série N°1) et dans les réserves mondiales de change (série N°2) - Sources : BRI / FMI / Wall Street Journal, 03/2011
Part déclinante du Dollar US dans les transactions internationales (série N°1) et dans les réserves mondiales de change (série N°2) - Sources : BRI / FMI / Wall Street Journal, 03/2011
En ce qui concerne l'inflation mondiale, on peut déjà identifier cinq canaux par lesquels la crise japonaise va renforcer les pressions inflationnistes actuelles : 

1. le coup d'arrêt brutal au développement des politiques d'équipement en nucléaire civil sur l'ensemble de la planète (14) qui va rapidement accroître la pression sur les prix du pétrole (15), du gaz et du charbon 
2. la pénurie de nombreux composants électroniques vitaux qui va générer une hausse des prix des équipements électroniques (des ordinateurs en passant par les TV à écrans plats (16)) du fait des coupures d'électricité qui affectent les usines et de la désorganisation des transports (17) 
3. une pression accrue sur les prix alimentaires et énergétiques (18) mondiaux du fait d'un accroissement significatif des importations alimentaires du Japon (notamment du riz) puisque la région touchée est l'une des grandes régions agricoles du pays (voir carte ci-dessous) 
4. un nouveau recul de la globalisation économique suite aux conséquences mondiales du quasi-arrêt de l'économie japonaise, championne à la fois des exportations et du « flux tendu » (19), qui va limiter d'autant l'effet « déflationniste » des échanges mondialisés (20) 
5. et enfin, un double phénomène de perte de valeur du Yen du fait d'injections massives de liquidités par la Banque du Japon et du renchérissement direct du « loyer » de l'argent au niveau mondial (hausse des taux) à cause des besoins gigantesques du Japon pour assurer sa reconstruction 

Utilisation des terres japonaises (rouge : double récolte - riz et blé / saumon : récolte unique - riz / marron : récolte unique – blé / vert : forêt) - Source : Columbia University, 2009
Utilisation des terres japonaises (rouge : double récolte - riz et blé / saumon : récolte unique - riz / marron : récolte unique – blé / vert : forêt) - Source : Columbia University, 2009
Ces anticipations n'intègrent évidemment pas le scénario de catastrophe ultime qui verrait la région de Tokyo massivement contaminée par la radioactivité suite à une fusion explosive d'un des réacteurs de la centrale de Fukushima (21). Une telle situation conduirait, à l'image de ce qui est arrivé à Tchernobyl, à créer une zone d'exclusion touchant cette région où habitent plus de trente millions d'habitants et qui est au cœur de flux planétaires essentiels, et entraînerait une catastrophe humanitaire sans précédent historique et une disruption immédiate des marchés économiques, financiers et monétaires mondiaux. Il n'y a tout simplement pas de « plan B » à un « arrêt brutal » du nœud global que constitue Tokyo et sa région. 

En souhaitant que cette situation extrême ne se réalise pas, notre équipe estime que le choc déjà avéré va donc se traduire par une aggravation brutale de la crise systémique mondiale et que le marché des Bons du Trésor US en sera la première grande victime collatérale dès le second semestre 2011 comme nous l'analysons en détail dans ce numéro du GEAB. Le pire n'est heureusement pas certain, mais le très grave ne fait en revanche plus de doute.

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Notes

(1) Dans ces circonstances tragiques, l'équipe de LEAP/E2020 souhaite exprimer sa solidarité avec le peuple japonais et en particulier avec nos nombreux abonnés et visiteurs japonais. Nous tenons également à souligner que notre analyse très « clinique » des conséquences de la catastrophe qui vient de survenir au Japon n'est pas une marque d'indifférence mais tout simplement le respect de notre méthodologie qui vise à limiter au strict minimum possible les éléments subjectifs au sein de nos anticipations. 

(2) Même le Telegraph du 24/02/2011 interprète désormais les révolutions populaires arabes comme la chute de l'empire américain du Moyen-Orient. 

(3) Source : JapanToday, 14/03/2011 

(4) D'après le FT Deutschland, la banque centrale chinoise aurait même reçu consigne de ne plus en acheter du tout. Source : FT Deutschland, 10/03/2011 

(5) Avant la catastrophe japonaise, on estime que la Fed, devenue désormais le premier détenteur de Bons du Trésor US, achetait déjà plus de 70% des nouvelles émissions. Dans les semaines à venir, cette proportion va se rapprocher progressivement de 90% à 95%. Car même malgré sa docilité vis-à-vis des pressions US, le Royaume-Uni, qui s'enfonce chaque jour un peu plus dans la nouvelle phase de la crise, la « double-dip-flation » comme la nommé notre équipe, n'a plus les moyens d'acheter les Bons du Trésor américain : il est trop occupé à racheter les titres de sa propre dette publique. Et, d'après Karen Ward, une des principales économistes d'HSBC, le gouvernement britannique risque même de devoir faire face à des émeutes de la faim si les prix alimentaires continuent à s'envoler comme ils le font depuis plusieurs semaines. Source :SkyNews, 09/03/2011 

(6) A court terme, la fuite hors des valeurs boursières (japonaises et autres) peut bénéficier aux Bons du Trésor US, mais c'est un phénomène transitoire. Source :CNBC, 09/03/2011 

(7) Le dernier en date est la réouverture des procès de Guantanamo alors qu'il avait promis la fermeture de la prison au plus tard un an après son élection, s'attirant ainsi des millions d'électeurs de la gauche du parti démocrate. 

(8) L'autre grand pays occidental dont les élites dirigeantes sont dans la même situation est la France. 

(9) Selon que l'on considère ou non l'Euroland comme une économie à part entière. Or le sommet du 11 Mars dernier qui approfondit encore l'intégration budgétaire et financière des pays de la zone Euro rend de plus en plus aberrante la position consistant à vouloir continuer à comptabiliser de manière séparée les grands agrégats économiques des pays de la zone Euro. Ainsi, avec 8.400 milliards €, le PNB de l'Euroland se situe en seconde position derrière les Etats-Unis (10.428 Milliards €), au cours actuel de 1€ pour 1,4$ et très largement devant la Chine (4.100 milliards €) et le Japon (3.850 milliards €). Sources : Wikipedia,EurozoneListe pays par PNB

(10) Sans même évoquer à ce stade le risque d'une neutralisation partielle ou totale de la région de Tokyo, l'une des métropoles-clés du monde de ces dernières décennies, suite à une contamination nucléaire. 

(11) A l'image d'un trimaran. 

(12) Il faut garder à l'esprit que Pékin cherche par tous les moyens à se débarrasser rapidement, mais de manière rentable, de sa montagne de Bons du Trésor et autres Dollars US. Le cataclysme que connaît le Japon va ainsi offrir aux dirigeants chinois une occasion unique de rapprocher stratégiquement Tokyo de Pékin. 

(13) A l'inverse, la très controversée présence des troupes américaines au Japon va ressortir, pour l'opinion nippone, comme d'autant plus anachronique et inutile face au désastre actuel. C'est un autre exemple, comme on a déjà pu le constater dans le cas des révolutions arabes, de l'inutilité croissante de l'immense appareil militaire américain : crise après crise, il devient évident qu'il n'a pratiquement aucune utilité pour permettre au gouvernement américain d'influer sur les évènements. 

(14) Il est en effet certain que le nucléaire civil vient de subir un coup d'arrêt brutal dont il aura beaucoup de mal à se remettre, notamment parce que cette catastrophe s'inscrit dorénavant dans ce conflit entre élites et opinions publiques que la crise systémique globale exacerbe chaque jour un peu plus. Parmi les pays qui vont subir de plein fouet cette « révolution » vis-à-vis du nucléaire, on peut déjà citer la France qui a fait depuis près de cinquante ans du nucléaire civil l'un des fleurons de sa technologie et de ses exportations. Source : Spiegel, 14/03/2011 

(15) Un facteur qui va renforcer l'évolution inexorable de la région du Golfe vers une situation de chaos, voire de conflit direct entre Shiites et Sunnites, entre les peuples de la région et leurs dirigeants, entre l'Iran et l'Arabie saoudite. L'envoi de troupes saoudiennes à Bahreïn est un indice de l'escalade des risques dans la région tout comme l'implication financière des Emirats Arabes Unis qui tentent de pallier dans l'urgence quarante ans de désintérêt pour des segments entiers de leurs populations. Sources : AlJazeera, 15/03/2011 ; New York Times, 10/03/2011 ; AlJazeera, 10/03/2011 

(16) Un des rares facteurs « baissiers » qui permettait de cacher l'envolée des prix de l'alimentation ou de l'énergie au sein de nombreux indices des prix. Ainsi même en Chine et dans toute l'Asie du Sud-Est, l'impact des pénuries de composants japonais se fait déjà sentir avec hausse des prix immédiate puisque l'industrie électronique japonaise a massivement délocalisé des parties entières de sa production à travers toute l'Asie, tout e conservant des fabrications stratégiques au Japon. Source : China Daily, 15/03/2011 

(17) Et partout dans le monde, on va connaître des pénuries de voitures japonaises et de pièces de rechange pour ces véhicules. Etant donné l'importance mondiale de l'industrie automobile japonaise, il n'y aura pas de solution de substitution aisée à mettre en place. Ainsi même en Inde, pourtant peu dépendant des marques japonaises, l'impact se fait déjà sentir directement avec l'annulation par les grands groupes japonais de ventes et de promotion des nouveaux modèles. Source : Times of India, 15/03/2011 

(18) Plusieurs raffineries japonaises ont été détruites. Cela implique des importations japonaises accrues de produits raffinés qui génèrent déjà des hausses des prix de l'essence aux Etats-Unis. Source : USAToday, 14/03/2011 

(19) Les économies exportatrices chinoise et allemande (ainsi que celle de Corée du Sud, Taiwan, …) vont également subir les conséquences négatives de cette évolution. 

(20) Il est important de garder à l'esprit que le recul de la mondialisation des échanges au profit d'un recentrage sur des zones économiques régionales dotées d'une monnaie unique ou dominante (UE, Asie, Amérique latine, …) entraîne un recul simultané des besoins en Dollars US pour financer les échanges internationaux. Voir différents GEAB précédents. 

(21) Ce qui induirait également des conséquences internationales en matière de retombées radioactives.

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